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4 décembre 2014 4 04 /12 /décembre /2014 09:47

Un petit matin froid

 

Annulation de toutes les obligations pour ce mercredi 3 décembre, y compris celle des cours. Prétexte à une grasse matinée ? Pas du tout. Le réveil sonne à quatre heures du matin. Une demi-heure plus tard, je quitte le chaud cocon de l’appartement familial pour la Nationale 20, direction Antony et la sous-préfecture de police.

Mais pourquoi si tôt ? La sous-préfecture n’ouvre ses portes qu’à 8 heures 45. Certes, mais il faut y être avant 5 heures du matin pour avoir une chance d’accéder à un des guichets du service « Etrangers » dans le courant de la journée. Habituellement, quand j’arrive, il y a déjà foule, une foule qui serpente sur une pelouse, s’agglutine au bas d’un escalier avant de s’étirer le long d’un mur gris. Miracle, là, il n’y a qu’une dizaine de personnes transies par le froid vif de ce petit matin, mais ravies de la perspective d’un passage rapide au guichet et donc d’un séjour bref dans ce bâtiment inhospitalier. Des Turcs, des Algériens, des Africains. En commun, les paupières lourdes et le visage rougi par la morsure impitoyable d’une bise glaciale. Chacun est recroquevillé sur lui-même. Offrir le moins de prise possible au vent, tel est l’impératif de l’heure. Près de quatre heures à attendre avant de pouvoir accéder à l’intérieur. Des petits bouts de conversation s’engagent, jamais bien longs. Il y est question de récépissés de cartes de séjour, de voyages au pays pour y retrouver un parent malade, voire une épouse, des enfants. Il y est question de trajectoires de vie, des années de clandestinité à une bienheureuse régularisation pour certains, à une promesse de régularisation pour d’autres. Il y est question du graal suprême, un passeport français qui signifierait la fin des petits matins froids. J’ai l’impression de détonner dans ce groupe. Je suis maintenu à l’écart des conversations. L’Algérien finit par m’adresser la parole, après avoir appris que j’étais son compatriote. Il est cuisinier au noir dans un petit restaurant de Bagneux. Je lui apprends que je suis professeur. Mais que fais-tu là ? Me demande-t-il. Je lui réponds j’ai demandé un renouvellement de carte de séjour il y a plus de deux mois mais, que la nouvelle carte n’étant pas prête, je dois demander un récépissé qui me permettra de partir en Algérie pour les vacances d’hiver. Si tu es là depuis longtemps, reprend-il, sais-tu que tu as droit à la nationalité française ? Oui, je sais, on me l’a dit au moment de l’établissement de mon premier titre de séjour, lui réponds-je. Mais je n’ai pas donné suite. Il me regarde d’un air interrogateur, en se demandant s’il avait affaire à un fou ou à un affabulateur. Mais pourquoi ?, finit-il par articuler. Ce serait trop long à t’expliquer. Il y est question de guerre, de morts sans sépulture, de déni.

A ce moment, arrive un jeune couple asiatique. Il se plante devant le panneau d’informations et se retourne vers nous pour nous dire que le service « Etrangers » est fermé le mercredi. Nous nous succédons devant cette maudite affiche qui proclame, sans l’ombre d’une ambiguïté, qu’en effet, le guichet de nos rêves ne s’ouvrira pas pour nous en ce mercredi de glace. Voici donc la raison de la faiblesse inhabituelle de l’affluence aujourd’hui.

Après un petit café sorti d’un thermos tunisien, nous nous quittons pour nous donner rendez-vous pour un nouveau petit matin froid, demain pour certains, vendredi pour d’autres. Mon compatriote me serre la main et lâche avant de partir : « Je t’assure, c’est rien du tout, juste un bout de papier ». Merci, mon frère, mais ce n’est pas juste un bout de papier…

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