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19 juillet 2013 5 19 /07 /juillet /2013 15:50

La mort d’un juste

Paru dans le Quotidien d'Oran

Ilan Halevi vient de mourir, à tout juste soixante-dix ans, à Paris. Trop occupé à mettre toute son énergie au service de la cause de la Palestine, il avait négligé de se soigner. Oui, la Palestine. Lui, le juif originaire du Yémen, en était devenu une figure centrale. Membre du Conseil Révolutionnaire du Fatah, il a été le représentant de l’OLP pour l’Europe et l’Internationale Socialiste, prenant ainsi la suite de Issam Sartaoui, assassiné au Portugal en 1983 par des Palestiniens opposés à la stratégie du dialogue. Il a été également vice-ministre des Affaires Etrangères de l’OLP et faisait partie de l’équipe des négociateurs Palestiniens à la Conférence de Madrid en 1991. Il a été cofondateur de la prestigieuse Revue d’Etudes Palestiniennes. Proche de Yasser Arafat, il en a été un conseiller très écouté. Avant de rejoindre les rangs de la Résistance Palestinienne, il s’installe en Israël après la guerre de 1967 et devient membre, l’année d’après, de l’organisation de gauche antisioniste Matspen. Il quitte définitivement Israël en 1974 et rejoint l’OLP, à laquelle il apporte son soutien inconditionnel dans sa lutte de libération de la Palestine.

Il était l’ami de Rodinson et aussi son héritier. Il rejetait profondément toute forme d’essentialisme, de racisme, quels que soient les oripeaux dont ils se parent parfois, quels que soient les discours de mauvaise morale que leurs tenants convoquent si souvent. Comme Maxime Rodinson, sa lucidité lui avait fait constater, sous Israël, le fait colonial.

Il avait mis son talent de diplomate, son entregent, sa capacité de persuasion, au service de la reconnaissance par la communauté internationale du fait palestinien. Ce n’était pas un naïf. Il ne pratiquait pas l’angélisme. C’est ainsi que, face à l’intransigeance israélienne, il dresse un bilan lucide de l’échec des accords d’Oslo, de la première Intifada à la seconde. Il attribue l’incapacité d’Israël à penser la paix au caractère archaïque de sa structure qui ne tient que par la poursuite de l’état de guerre. Ne voyant aucun espoir d’évolution du côté israélien, il en appelle à une intervention internationale, seule à même selon lui  d’empêcher des massacres annoncés, seule à même de donner du corps, auprès de l’opinion israélienne, à l’idée qu’il est impossible de régler la question par la force.

Il était féru des œuvres de Franz Fanon et d’Aimé Césaire. Edouard Glissant était son ami. Il était passionné par l’Afrique et avait été un militant très actif de la cause des Noirs aux Etats-Unis et de la lutte contre l’apartheid en Afrique du Sud, apartheid dont il retrouvait les traits grossis en Palestine. Il laisse une œuvre imposante, généreuse, lucide : Sous Israël, la Palestine, Minerve, 1978, Question juive, la Tribu, la Loi, l'Espace, Minuit, 1981, Israël, de la terreur au massacre d'État, Papyrus, 1984, Face à la guerre : Lettre de Ramallah, Actes Sud, 2003, Aller-retour, Flammarion, Paris, 2005.

Il est mort avant d’avoir réalisé son rêve, voir l’émergence de l’Etat de Palestine.

Ses obsèques ont eu lieu, samedi 13 juillet, au crématorium du Père-Lachaise, à Paris. Elles se sont déroulées sur fond de jazz et de l’inoubliable El Qods de Faïrouz. Plusieurs interventions ont été faites : un représentant de l’Ambassade de la Palestine en France, Leïla Shahid, Elias Sanbar, Gus Massiah du CEDETIM. Emotion intense au rappel de son retour en Palestine après 47 ans d’exil. Le cercueil, enveloppé du drapeau Palestinien, a effectué son dernier voyage au son de l’hymne national de la Palestine, interprété par l’artiste Ahmed Dari, accompagné de son Oud.

Laissons le dernier mot à Michel Warchavski : « La Palestine vient de perdre aujourd’hui un de ses fils ; l’OLP un de ses dirigeants ; ses très nombreux amis, de Beyrouth à Paris, de Tel Aviv à Bamako, de Ramallah à San Fransisco pleurent un frère et un camarade. »

Adieu, Ilan. Vive la Palestine !

Brahim Senouci

 

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