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30 août 2011 2 30 /08 /août /2011 23:33

Injustice, fabrique de violence

 

Il y a bien longtemps, trop longtemps, que les lecteurs bienveillants du Quotidien d’Oran qui consentent à m’accorder quelque attention connaissent mon obsession pour la recherche des causes profondes de l’échec patent de notre société à se constituer en un corps moderne, cohérent, tendu vers l’avenir. Je sais que je partage cette obsession avec bon nombre de mes compatriotes qui refusent l’explication simpliste qui consiste à accuser le Pouvoir de tous nos maux. Bien sûr, il ne faut pas dédouaner nos gouvernants de leurs très nombreux errements, de leur incapacité à tracer une perspective, à redonner du sens à l’action politique. Comment le pourraient-ils ? Ils sont bien trop occupés à assurer la pérennité de leurs misérables carrières pour se pencher ne serait-ce qu’un instant sur les problèmes quotidiens des citoyens qu’ils sont censés servir…

Un adage cruel nous dit que les peuples ont les gouvernements qu’ils méritent. Ce n’est pas tout à fait vrai. De quels crimes se seraient rendus coupables les Syriens pour subir le châtiment atroce que leur inflige jour après jour un dictateur ubuesque ? De quels crimes nous sommes-nous rendus coupables, nous Algériens, pour mériter un Pouvoir incapable de nous protéger de la déferlante terroriste qui a fait au moins 150.000 morts ? Comptons-nous si peu à ses yeux pour que ce même Pouvoir puisse décréter fermée la parenthèse sanglante, interdisant à la justice de mener un travail d’enquête susceptible d’adoucir un tant soit peu l’énorme traumatisme que nous nous sommes résignés à refouler dans nos inconscients ?

Une telle situation est-elle imaginable ailleurs ?

Les événements d’Irlande ont commencé avec ce qui est resté dans la mémoire collective comme le Bloody Sunday. En 1972, la police britannique tire sur des manifestants pacifiques. Il y eut 13 morts, oui 13 et non 13.000 ! Cet événement a changé radicalement la donne en Irlande. Il est célébré de manière régulière, notamment à travers des chansons de John Lennon ou du groupe U2. Il a ouvert la voie à l’émancipation des citoyens d’Irlande du Nord, jusque là victimes de discriminations.

La petite Irlande n’a pas supporté la mort de 13 de ses enfants. Nous avons non seulement intégré la mort de 150.000 des nôtres mais nous avons accepté, au moins de manière tacite, que cette mort n’ait AUCUNE CONSEQUENCE TANGIBLE ! Comment avons-nous pu intégrer cela, sans un cri, sans une plainte ? C’est là que nous devons nous poser des questions sur nous-mêmes, en tout cas cesser de nous dédouaner de la moindre responsabilité dans ce qui nous arrive.

J’ai déjà évoqué l’impossibilité pour les Algériens de se penser comme une communauté de destin, de s’inscrire dans l’action collective. Mille et un exemples en attestent. L’état de notre cadre de vie, l’acceptation du recours aux passe-droits et à la corruption, la méfiance maladive que nous nous inspirons mutuellement sont autant de signes de nos difficultés à vivre ensemble.

Un raccourci audacieux (tant que ça ?) mais saisissant consisterait à établir un lien entre la crasse des cités, les fonctionnaires véreux, l’anarchie des hôpitaux d’une part et le martyrologe de 150.000 innocents. Une société qui accepte de vivre dans un déni permanent de justice, dont les membres acceptent d’accéder à leurs logements en empruntant un escalier sombre, sale et branlant, de vivre sans eau parce qu’incapables de faire l’effort collectif de réparer une pompe, de payer pour un misérable document administratif, qui acceptent que des malades grabataires puissent rester à la porte des hôpitaux pendant que d’autres y soignent leurs petits bobos…, est une société capable d’accepter la mort brutale d’une grande partie des siens. Il y a donc, outre la violence exercée par le Pouvoir, celle banale que nous nous infligeons quotidiennement les uns aux autres.

J’ai envie de prendre un exemple qui m’a été rapporté par des collègues universitaires. Il concerne une situation qui n’a rien de dramatique mais qui constitue une sorte d’archétype de ce qui se passe en notre beau pays. Il illustre à merveille le peu de cas que des Algériens font des autres, donc d’eux-mêmes. Il montre la facilité avec laquelle le détenteur d’une autorité peut prendre une décision arbitraire, injuste, violente, contre des citoyens totalement innocents.

En novembre 2010, quarante-cinq étudiants sont admis, après examen, à intégrer la première année du magister en sciences du langage, de la didactique et des textes littéraires de l’Université Djillali Liabès de Sidi Bel-Abbès. L’organisation est parfaite. Ils reçoivent le programme de leur formation ainsi que les noms des professeurs qui doivent la dispenser. Des professeurs français venant des Universités de Paris 8, de Cergy et de Lyon y participent. Les cours commencent ; tout va bien.

En janvier 2011, coup de tonnerre : Le recteur de l’Université décide de suspendre la formation sine die. On explique aux étudiants désemparés (on le serait à moins !) qu’une anomalie sur les relevés des notes était suspectée et qu’une enquête devait être ouverte. L’initiative prise par le Recteur a été prise suite à la plainte d’une candidate recalée à l’examen et qui s’estimait lésée. Peut-être avait-elle raison ? Une enquête rapide aurait permis de l’établir ou de l’infirmer. On aurait donné aux étudiants un congé de quelques jours pour permettre à l’Université de vérifier en toute sérénité le fondement de la plainte et rétablir éventuellement cette dame dans ses droits. Rien de tout cela. Nous sommes en septembre 2011 ; les cours n’ont jamais repris. Les quarante-cinq étudiants ont passé l’année en sit-in de protestation, en envois de courriers à leur ministre de tutelle, en recherche de coûteuses solutions judiciaires… Certains ont abandonné ce combat stupide que leur impose une autorité irresponsable. Ils essaient de gagner leur vie en faisant des vacations après avoir mis une croix sur leurs rêves d’une carrière académique dans une université algérienne. D’autres essaient de s’inscrire dans les universités françaises. D’autres encore ont rejoint la cohorte mortifère des chômeurs « teneurs de murs ». Que l’on ne s’étonne pas de retrouver leurs visages au détour d’une émeute !

La clé de cette affaire n’est pas à rechercher uniquement du côté de l’incompétence associée à l’autoritarisme. Elle révèle à quel point le mépris est une boussole pour beaucoup de ceux qui ont en charge nos institutions. Ils n’en ont pas le monopole. Nous avons cette tare en partage. Sans doute avons-nous subi trop de traumatismes pour ne pas y voir une punition naturelle pour une sorte de culpabilité originelle. La haine des autres, c’est d’abord la haine de soi. Son aliment principal est le déni de justice.

Un mot en conclusion, ou plutôt un appel.

Monsieur le Ministre de l’Enseignement Supérieur, de grâce, faites en sorte que le tableau que je brosse soit moins sombre. Rétablissez ces malheureux étudiants dans leurs droits en leur présentant vos excuses !

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commentaires

H
<br /> Quand un professeur universitaire cherche " la prime du moutons de l Aid ",<br /> et autre...etc.et ne cherche plus ses moyens de productions.....<br /> Je vous laisse deviner la suite......<br /> on ne construit pas un avenir sur l arbitraire.<br /> <br /> <br />
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