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22 août 2013 4 22 /08 /août /2013 09:53

Algérie, quel destin ? 

Une scène banale : un bouchon immense à l'arrivée sur « Coca », au bas de la Corniche supérieure oranaise. Des automobilistes slaloment, roulent sur la gauche, investissent les bas-côtés, dans un concert indescriptible d'insultes et de coups de klaxon. Deux gendarmes paisibles devisent tranquillement, tout en roulant de concert sur leurs motos flambant neuves, indifférents au désordre ambiant. Image révélatrice d'un pays abandonné à lui-même… Une sorte d'abdication rampante du Pouvoir se traduit par un ensauvagement progressif de la société algérienne. L'autorité ne s'exerce plus vraiment, ce qui libère des espaces de plus en plus importants ouverts à la violence et à l'insécurité. Des micro-guerres civiles éclatent, comme à Berriane naguère ou à Bordj Badji Mokhtar récemment. Des caïds de quartier émergent et viennent pallier l'absence de l'Etat en rendant la « justice » et en assurant les fonctions de la police. Ils se paient « sur la bête » en pratiquant le racket ou la distribution de la drogue. Des batailles rangées éclatent ça et là entre bandes rivales ou simplement entre voisins. Au début des années 90, l'Etat avait demandé à l'INESG (Institut National d'Etudes Supérieures Globales) de faire un travail de prospective pour les quinze années à venir. Ce projet portait le nom d' «Algérie 2005». Certains de ses promoteurs comme les regrettés Liabès et Boukhobza ont été assassinés et le projet s'est noyé dans le flot de sang de la décennie noire. Il n'en reste plus trace aujourd'hui. Il n'est même pas certain que l'INESG existe encore. Il n'est en tout cas plus de mise d'essayer de faire de la prospective pour tenter, sinon de maîtriser, du moins de rendre moins imprévisibles les mouvements du futur. Or, aucune nation ne peut assurer sa pérennité si elle est incapable de se projeter vers l'avenir, si elle ne peut pas avoir une maîtrise au moins relative de son destin. On ne peut pas dire que cette préoccupation figure à l'agenda du Pouvoir. On peut même se demander ce qui figure dans cet agenda. Les ministres ne se réunissent plus depuis belle lurette. Ils ne s'expriment plus dans les médias que pour énoncer des banalités sur l'air de « Tout va très bien ». Le Premier d'entre eux tente bien, à force d'agitation, de faire croire que le cadavre bouge encore, mais en vain… L'opposition n'est pas mieux lotie. En fait, la classe politique algérienne a disparu des écrans radar… Ne continuent à faire la une des journaux que ceux qui sont mêlés à des affaires de corruption mettant en jeu des milliards de dollars et permettant de découvrir que certains de nos ministres «jouissent» de nationalités étrangères leur permettant éventuellement d'échapper aux foudres (non moins éventuelles !) de la justice algérienne. Voici donc le tableau : un gouvernement impotent, absent, une méga corruption qui ne se limite plus à la perception de pourcentages « amicaux » mais qui met en jeu le bradage du patrimoine national au profit d'entreprises étrangères. Tout cela se passe sur fond du bien mal nommé « printemps arabe », de liquéfaction de la Libye, de l'Irak, de la montée de la menace de guerre civile en Egypte, voire en Tunisie, et que le feu couve sous la cendre au Bahreïn mais aussi dans les faussement tranquilles monarchies du Golfe. Nous aurions tort de croire que notre passé nous immunise contre ce type de dérive. Nous aurions également tort de croire que l‘immobilisme léthargique dans lequel nous nous réfugions nous prémunira contre les convulsions de l'Histoire. C'est vrai que nous avons connu notre lot de malheurs. D'ailleurs, quand on regarde l'histoire de notre pays, on a du mal à y déceler des phases de bonheur et de paix. Nous avons connu la colonisation dans sa forme la plus cruelle. Nous avons eu les enfumades, les massacres à grande échelle, les camps de regroupement, la famine, l'humiliation d'un déclassement généralisé. A ce propos, que l'on me permette une parenthèse. Notons que nos principaux tortionnaires, ceux qui ont asphyxié des tribus entières dans les grottes de Nekmaria et autres lieux de sinistre mémoire, sont enterrés aux Invalides. Voilà un nom qui parle aux Algériens d'aujourd'hui. Ils savent que leur Président y a séjourné pendant plusieurs semaines. Ils doivent savoir aussi que les Invalides, création napoléonienne, sont en quelque sorte le Panthéon des militaires. Les cendres des grands maréchaux et généraux français y sont accueillies. C'est ainsi qu'on y retrouve les maréchaux Bugeaud, Saint-Arnaud, ainsi que celles des généraux Pélissier, Cavaignac, Voirol… Là aussi, voilà des noms qui parlent à nos compatriotes ! Les anciens s'obstinent à désigner la ville d'El Eulma sous son ancien nom de… Saint-Arnaud. Le lycée Emir Abdelkader d'Alger s'appelait Bugeaud. Les Algérois connaissent très bien la colonne Voirol. Quant aux Oranais, la rue Cavaignac n'a pas de secret pour eux. Ces braves officiers ont été accueillis aux Invalides pour leurs « hauts faits de guerre » en Algérie. Ils s'y sont en effet illustrés par leur cruauté et leur barbarie et la France leur en a sait gré. Notre Président a séjourné durant plusieurs semaines dans ce lieu (il y était encore le 5 juillet dernier). Avait-il conscience de la qualité des gens qu'il côtoyait ? Lui, l'ancien officier de l'ALN, a-t-il mesuré la portée symbolique de sa présence dans ce lieu ? Un détail, diront certains. Il fallait qu'il se soigne. Bien sûr qu'il le fallait. Mais comme il aurait été préférable qu'il le fît ailleurs, n'importe où ailleurs plutôt que sur le sol de l'ancienne puissance tutélaire, plutôt que dans ce lieu hanté par les fantômes des assassins de l'Algérie… Qui dira l'effet de cette page sombre sur nos imaginaires ? Qui est à même de mesurer la dose de haine de soi supplémentaire qu'elle a fait ingurgiter à notre peuple ? Qui évaluera la perte de sens que nous lui devons ? Pour mémoire, notre président a failli côtoyer Bigeard ! Il s'en est fallu de peu. Le gouvernement français avait décidé en effet de transférer les cendres du « héros » aux Invalides. Un groupe d'intellectuels Français a décidé de s'opposer à cette initiative. J'ai participé à la rédaction de la pétition (nonabigeardauxinvalides.fr) demandant au pouvoir de renoncer à son dessein. Dix-mille signatures plus loin, le projet a été abandonné et les cendres de Bigeard se sont retrouvées à Fréjus… Pour nous débarrasser de la colonisation, nous avons consenti des sacrifices gigantesques. Nous avons réussi dans cette entreprise mais elle nous a laissés exsangues. De plus, une coterie de militaires a installé immédiatement une dictature et interdit toute expression politique. La sortie de la parenthèse coloniale débouchait ainsi, dans une sorte de continuum tragique, sur l'absence de cette liberté pour laquelle tant de nos concitoyens avaient donné leur vie. Et puis, il y a eu ce petit vent de liberté, ce zéphyr bienvenu de 1988 qui a ouvert une nouvelle perspective : on sait qu'elle a fini par se résoudre dans le sang de dizaines de milliers d'innocents et a permis la reproduction de ce système incapable de définir un projet, de donner du sens, de l'ambition, un horizon à une population désormais sans espoir. Comment aurait-elle pu en conserver une once alors que la mort d'au moins 150.000 Algériens n'était pas de nature à changer le cours des choses ? Depuis, nous cultivons l'immobilisme. Nous pratiquons en permanence l'accommodement quotidien avec les caprices du temps et de la météorologie du Pouvoir. Nous avons appris à ruser, à tricher, pour essayer, chacun de son côté, de tirer un avantage, un bénéfice. A mesure que nous le faisons, nous nous haïssons chaque jour davantage parce que nous savons que ce comportement n'est guère glorieux. Surtout, nous avons sans doute intégré dans notre inconscient le fait que, ce faisant, nous participons collectivement au naufrage de notre pays. Il y a un espoir, je crois. Il réside précisément dans le fait que, bien que beaucoup d'entre nous arrivent à tirer un avantage de cette situation de non droit et d'amoralité, nous n'en sommes pas satisfaits. Nous pratiquons la ruse et la triche et nous nous en voulons inconsciemment. Il y a sans doute de la place pour un discours nouveau qui propose une pratique nouvelle, un retour à la vertu et aux valeurs traditionnelles qui ont fait la force naguère de notre société. Ce discours répondra sans aucun doute à une attente, l'attente d'un peuple qui désire ardemment retrouver du sens, redevenir acteur de son destin. Nul besoin d'oripeaux prétendument religieux. On a bien vu que la pratique ostentatoire de la religion sert plus aujourd'hui à donner des gages à la société qu'à dicter les conduites et n'a aucune incidence sur les comportements individuels et collectifs. Le discours prégnant est de plus en plus riche en références religieuses. Parallèlement, la morale s'effondre, la rapine se développe et ses fruits s'exposent sans vergogne. On a le droit de se demander si la convocation du religieux ne sert pas in fine à absoudre par avance des comportements délictueux ! Un nouveau discours doit en appeler au sens du devoir et de l'intérêt commun. Il doit naturellement s'adosser aux valeurs de notre pays, la générosité, l'altruisme qui sont les marques de fabrique de l'Algérie de toujours. Il doit convoquer la mémoire partagée des épreuves subies en commun, des succès d'hier. Il doit appeler à la construction d'une Algérie nouvelle sur des bases totalement différentes de celles sur lesquelles elle chancelle aujourd'hui… Oui, une Algérie nouvelle, celle de citoyens convaincus d'une communauté de destin, tendus vers l'établissement d'une Nation débarrassée des spectres de la corruption généralisée et de son corollaire, le renoncement !

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