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11 avril 2009 6 11 /04 /avril /2009 15:46

Algérie : Le sens d’une « élection » présidentielle

Jamais verdict n’a été attendu avec aussi peu de fièvre et d’émotion. La victoire annoncée du candidat président Abdelaziz Bouteflika est venue clore un chapitre entamé avec la révision constitutionnelle supprimant la limitation du nombre de mandats présidentiels. Cette révision a été adoptée par un parlement aux ordres ; sans doute les autorités ont-elles jugé risqué de la soumettre à l’approbation populaire.
Moins que jamais, la population a voix au chapitre. Du reste, elle se venge du « mépris » dans laquelle elle est tenue en affichant un désintérêt prodigieux pour la politique et pour ceux qui la font, majorité et opposition confondus dans un même opprobre. Les Algériens ont appris ainsi à se « débrouiller », à régler leurs problèmes quotidiens, joindre les fins de mois, trouver un logement…, sans utiliser les canaux officiels dont ils savent qu’ils sont impraticables pour l’écrasante majorité d’entre eux. Le cousinage, le copinage, voire la corruption sont devenus les moyens quasi uniques d’accéder à des biens ou à des situations que, pourtant, la Constitution leur assure théoriquement. D’ailleurs, à part les noms du Président et, peut-être du Premier Ministre, une majorité d’Algériens ne connaissent pas leurs gouvernants, ni les députés de leurs circonscriptions, ni leurs sénateurs. On pouvait donc à bon droit s’attendre à ce qu’ils boudent les urnes, d’autant plus que, pour cette dernière élection, il n’y avait même pas place pour un de ces faux suspenses que le régime sait si bien aménager.
Et pourtant… Bien que les chiffres aient été sans doute quelque peu gonflés, tant celui de la participation que le score du vainqueur, force est de constater que les urnes n’ont pas été désertées. On peut considérer qu’une bonne moitié d’électeurs se sont exprimés, bien plus qu’à la dernière élection où une incertitude apparente quant au résultat avait plané sur le scrutin.
Qu’est-ce à dire ? Quels enseignements tirer de cet apparent paradoxe ?
Risquons une hypothèse, osée, il faut bien l’avouer. Et si les Algériens étaient en fin de compte satisfaits de ce mode de gouvernance ? Et s’ils faisaient le choix inconscient de se défaire de leurs responsabilités sur d’autres, quitte à vitupérer tout leur soûl après ? S’agirait-il d’une énième ruse pour rester dans l’adolescence politique, pour retarder le moment de la maturité qui correspondrait à la mort du père ?
Interrogeons le passé. La tutelle coloniale a duré 132 années durant lesquelles les Algériens n’avaient strictement aucun droit et n’étaient même pas considérés comme des citoyens. Après l’indépendance, le nouveau pouvoir, censé les avoir libérés, leur a intimé le silence et le devoir d’obéissance aveugle. Octobre 1988 a paru faire exploser ce schéma et nous avons cru en l’avènement d’une ère nouvelle, celle du citoyen Algérien responsable. La déferlante terroriste a balayé cette illusion. On aurait pu entretenir l’espoir raisonnable que cet épisode sanglant aurait été la tragédie fondatrice de l’Etat moderne et démocratique. Il n’en a rien été. L’amnistie a été décrétée et la parenthèse massacrante a été déclarée fermée et oubliée. Les dizaines de milliers de morts ont été passés par pertes et profits et le régime a renoué avec ses pratiques, portées peu ou prou par le même personnel politique. Aucun effort de pédagogie vers la population n’a été consenti. Sans doute l’en a-t-on jugé indigne…
Le vocabulaire politique de rigueur souligne les constantes. En fait, il les souligne tellement que l’on peut se dire qu’elles doivent être bien fragiles pour qu’il soit nécessaire de les rappeler si souvent. En fait, il y a une constante en Algérie, toujours vivace depuis bientôt deux siècles, c’est la hogra, le mépris, mépris pour une « populace » encombrante, perçue comme effrayante et que le régime, loin de songer à la servir, ne pense qu’à s’en protéger en essayant de la contenir.
Deux siècles de hogra, comment ne pas penser que le peuple algérien l’intègre dans son inconscient collectif comme une sorte de fatalité ? On a souvent parlé de l’extrême aptitude des Algériens à résister aux pires catastrophes.  Il y a là une marque de courage évidente. Mais il y a peut-être autre chose, la conviction que la catastrophe est la norme pour notre peuple. S’il n’a pas la force de changer le cours des choses, c’est peut-être qu’il a intégré le mépris dont il est l’objet, que la haine de soi qui en découle l’empêche de se penser comme acteur de son destin et qu’il est donc réduit à la recherche éternelle du père…
C’est une des clés pour déchiffrer l’élection du 9 avril, le choix de la conservation d’un système injuste mais avec qui on a appris à ruser plutôt que l’aventure du changement avec la peur de ne pas être à la hauteur du défi qu’il implique. Demain, sans doute, les harragas reprendront la mer à bord de leurs rafiots improbables, les jeunes chômeurs adosseront leur mal de vivre aux murs de nos villes, les malades s’allongeront sur des lits de fortune dans des hôpitaux d’un autre temps. Les affairistes continueront de faire des affaires, les riches de s’enrichir, les pauvres de se réfugier dans la bigoterie pour échapper à une condition dégradée.
Combien d’années encore à scruter un horizon vide avant que le peuple finisse par admettre que c’est à lui de construire cet horizon ? Combien d’années encore avant que le peuple comprenne que c’est lui qui produit le système, par son refus entêté de grandir et de revendiquer le droit à la maîtrise de ses affaires ? Combien d’années encore avant qu’il s’interroge sur la vague sanglante qu’il a connue dans les années 90 ? Combien d’années encore à refuser de s’interroger sur la genèse de ces jeunes gens qui ont transformé l’Algérie en carnaval sanglant ? Combien d’années encore avant qu’il admette qu’ils n’appartiennent pas à une génération spontanée et qu’ils sont le produit de l’abdication de leurs aînés à leur dessiner une perspective autre que celle de l’éternelle répétition d’une pièce vide de sens ? Combien d’années encore avant qu’il comprenne que son salut passe par la conviction qu’il forme, non une communauté de hasard subie, mais une communauté de destin choisie ?
La violence n’est pas propre à l’Algérie. Beaucoup de nations l’ont connue et la connaissent encore. Souvent, ces épisodes violents marquent le passage vers une forme supérieure de gouvernement. A titre d’exemple, la Seconde guerre mondiale a permis à l’Europe de se constituer. Il s’agit dans ce cas d’une violence accoucheuse d’Histoire. En Algérie, au Congo, ou ailleurs en Afrique, la violence est avorteuse d’Histoire. Chacune de ses périodes se traduit par une régression. La raison en est que, plutôt que de revisiter ces périodes pour tenter d’en comprendre la genèse, les régimes a tendance à les coiffer d’un couvercle pudique. Ce faisant, on s’expose à leur répétition sans fin et on est réduit à chercher un abri illusoire sous l’aile d’un tuteur autoritaire.
Nous ne ferons pas l’économie d’une introspection collective pour comprendre ce qui nous arrive et nous libérer du poids d’un passé qui obère le présent et interdit de penser l’avenir. Dans un manuel de la CIA datant des années 70, aujourd’hui déclassifié, on explique l’usage de la torture. Il ne s’agit pas seulement de faire physiquement mal au sujet. Il faut lui infliger toutes sortes de traitements complètement incohérents pour qu’il en arrive à ne plus comprendre le monde qui l’entoure. C’est alors seulement qu’il abdique toute volonté et se soumet au bon vouloir de ses tortionnaires.
L’Algérie est soumise depuis des décennies à des épreuves aussi terrifiantes qu’inintelligibles. Faute d’une grille de lecture qui lui permettrait de comprendre le monde qui l’entoure et d’inscrire ses tourments dans le cours d’une Histoire logique, le peuple algérien ne peut que remettre son destin entre les mains d’un père dont il espère qu’il éloignera les foudres du ciel.

 

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commentaires

A
Brahim, corrige vite la référence de date pour Théodore Herzl
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